Exposition

Saturn

Emmanuel Van der Auwera

20.09 — 29.11.25

Le CAP · Saint-Fons a le plaisir de présenter « Saturn », la première exposition personnelle d’Emmanuel Van der Auwera dans un Centre d’art en France.

 

Connu pour ses VidéoSculptures et ses dispositifs vidéo, Emmanuel Van der Auwera s’intéresse aux transformations profondes générées dans notre société par les nouvelles technologies. Ses œuvres interrogent les procédés de production d’images et de représentation des tragédies, ainsi que leur diffusion et les phénomènes liés à leur manipulation. L’artiste maîtrise et détourne les outils générateurs de contenus —logiciels d’animation, plateformes de travail à distance, et plus récemment les applications d’intelligence artificielle générative — afin de sonder le territoire de plus en plus complexe qui sépare la fiction du réel.

 

Van der Auwera investit le Centre d’art avec un ensemble d’œuvres récentes et une nouvelle installation – conçue spécialement pour l’exposition – qui marque une étape importante dans sa recherche sur le phénomène des crisis actors (acteurs de crise). Ce mouvement, très répandu dans le milieu conspirationniste, remet en question la véracité d’événements marquants — historiques ou tragiques — en les assimilant à des mises en scène orchestrées par le pouvoir ou deep state, et qui seraient interprétées par des acteurs.

L’artiste prend pour point de départ un fait tragique dont la médiatisation et la manipulation successive ont constitué un point de bascule dans l’ère de la post-vérité : la fusillade meurtrière de l’école Sandy Hook survenue en 2012 au Connecticut (États-Unis). Il s’intéresse plus particulièrement à l’histoire de Leonard Pozner, qui perd son fils Noah dans l’attaque. Pris pour cible par des théories conspirationnistes niant la réalité des faits et l’existence même des victimes et de leurs familles, Pozner est devenu à son tour victime de ce phénomène et de ses implications.

 

Contraint de se cacher, de changer de nom et d’identité, ou encore de dissimuler son visage lors d’apparitions médiatiques pour se protéger des attaques, Pozner consacre sa vie depuis à faire disparaître les traces numériques de son identité, tout en œuvrant sans relâche pour rétablir la vérité sur sa tragédie et la souffrance qu’elle a engendrée. Grâce à ce combat, il est devenu une figure reconnue aux États-Unis, le « patient zéro » d’une bascule vers la post-vérité et l’émergence de notions de déréalisation, d’anonymisation sur les réseaux et de réécriture de l’histoire.

 

Réalité et fiction, disparition et apparition, déni : ce sont autant de questions traduites dans l’œuvre d’Emmanuel Van der Auwera. L’installation Pozner confronte le visiteur à un dispositif minimaliste, inondé par la lumière blanche des écrans. Lors d’un voyage récent aux États-Unis, l’artiste a rencontré Leonard Pozner pour un entretien filmé. Dans l’espace d’exposition, le visage de Pozner n’apparaît que par fragments fugaces, insaisissable dans son intégralité. Sa voix grave et claire accompagne le récit de son histoire, des répercussions des théories conspirationnistes sur sa vie, son deuil, et plus largement, sur les conséquences de la réécriture de l’histoire et la lecture de la réalité.

 

Le dispositif, qui s’inscrit dans la lignée de ses VidéoSculptures, traduit la violence d’une image en absence, qui ne peut exister qu’en se dissimulant. Nous ne voyons jamais le vrai visage de Pozner, caché derrière un masque produit par la technologie du deepfake ; seuls quelques fragments de son regard semblent nous interroger à leur tour. L’installation questionne également le médium : les écrans qui diffusent la vidéo sont privés de leur filtre polarisant, ce qui rend l’image illisible à l’œil nu. Le spectateur se trouve face à une projection fantomatique, perceptible seulement par fragments, en se déplaçant dans l’espace.

 

Après un long couloir, le visiteur entre dans un vaste espace aux allures de gymnase où est projetée Saturn la nouvelle œuvre vidéo, qui donne son titre à l’exposition. Ici, l’artiste pousse à l’extrême la notion de documentaire et d’archive. La succession des séquences et des images est entièrement – ou presque – générée par des logiciels d’intelligence artificielle.

La narration, implacable, mêle dialogues artificiels et bribes de conversations qui ont réellement eu lieu avec des membres de mouvements conspirationnistes. Faisant écho à l’histoire de Pozner, Van der Auwera tisse un récit saisissant autour des drills, des exercices de sécurité organisés dans les écoles aux Etats-Unis, pour apprendre les bons réflexes en cas d’attaque. Ces entrainements évoquent un vocabulaire visuel propre au cinéma et à l’artifice, le fake, en totale contradiction avec l’hyper-réalisme des simulations.

 

Images de synthèse et images d’archives, témoignage ou scénario de fiction ; l’artiste brouille volontairement tout repère et nous laisse dans un état de doute permanent. Saturn renverse ainsi le rôle historique du documentaire et de l’archive car, si l’archive peut être générée, quel statut donner au récit qui en découle ?

 

Dans la mythologie, Saturne est associé à la cruauté, au sacrifice et à une forme de mélancolie. Représenté dévorant ses enfants, il symbolise une boucle infernale entre victime et bourreau, dévoré et dévorateur. On pourrait y lire une métaphore du pouvoir inexorable et énigmatique des nouvelles technologies et de notre relation aux médias, que nous consommons, et qui nous consument en retour.

 

L’exposition présente également une sélection de Memento, une série initiée il y a une dizaine d’années. Réalisées dans les locaux du journal La Libre Belgique à partir de plaques d’imprimerie et des techniques d’impression commerciale (brochures, quotidiens), l’artiste en détourne le procédé et réalise des surfaces imprimées en cyan vif — évocation des premiers essais photographiques. Ces images résiduelles, apparaissent comme des hologrammes selon l’incidence de la lumière : découpes d’articles et unes de journaux relatant des événements objets de manipulations et de théories conspirationnistes. L’une d’elles montre la une du Boston Globe, où apparaît en filigrane le visage de Noah Pozner avec l’inscription en lettres capitales : « NOAH WAS REAL ». Avec Memento, l’artiste interroge les processus mécanisés qui produisent et diffusent l’information et les images, ainsi que leur inscription dans une mémoire collective.

 

Les tensions entre expérience de la machine et expérience humaine et la dépendance émotionnelle générées par les nouvelles technologies, se cristallisent dans l’œuvre Your voice is always there cutting through the darkness, également présentée dans l’exposition.

 

Dans Saturn, Emmanuel Van der Auwera nous offre un aperçu des transformations profondes qui impactent la représentation du réel ; il nous invite à explorer le vocabulaire visuel, les paradoxes et le vertige générés par les technologies contemporaines.

 

Commissariat : Alessandra Prandin avec Emmanuel Van der Auwera

 

Autour de l’exposition